- Capitaine Alfred Heurtaux
Nationalité française
- Breveté pilote militaire le 29 mai 1915 (brevet n°1001)
- Cité dans le communiqué aux armées du 19 août 1916
- Escadrilles SPA 3, N 38, MS 26
- Né le 20/05/1893 à Nantes
- Mort le 30/12/1985 à Cirès-lès-Mello (Oise) (Mort naturelle)
Décorations
- Officier de la Légion d’Honneur
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Croix de Guerre
15 palme(s)
2 étoile(s) de bronze
Profils
Alfred Heurtaux
21 victoires sûres, 17 victoires probables
Palmarès détaillé »
Alfred, Marie, Joseph Heurtaux naît à Nantes le 20 mai 1893 dans une famille de la grande bourgeoisie provinciale, où sa mère, fille de médecin, dispose d’une certaine fortune, tandis que son père est un polytechnicien servant comme officier d’artillerie et son grand-père chirurgien de réputation nationale. Le jeune garçon est l’ainé d’une famille de 4 enfants (1 sœur et 2 frères cadets) et grandit à Vannes, puis à Rennes au gré des mutations de son père. Alors lycéen, le jeune Alfred décide de suivre la voie de son père et obtient en 1912 le concours de l’école militaire de St-Cyr. Effectuant sa première année dans un régiment de cavalerie, il entre ensuite dans la prestigieuse école (promotion Montmirail) en se destinant à servir dans les colonies.
Mais la guerre met un terme à cette ambition car elle éclate peu après la fin de sa formation : il part avec ses galons de sous-lieutenant au 9e régiment de Hussards de Chambéry où il va dès les premiers engagements dans les Vosges se battre avec une extrême bravoure. A 21 ans, le jeune sous-lieutenant a un physique juvénile qui le fait passer pour un adolescent et les hommes sous ses ordres en viennent à douter de sa maturité. Ils vont vite être fixés : le 24 août, Heurtaux rallie des troupes débandées et tient une position face à l’ennemi dans une route de forêt, permettant à une batterie d’artillerie de replier ses pièces vers les positions françaises. Le 11 septembre, il capture une voiture d’état-major et ses occupants, puis, alors que son unité est engagée dans la Somme, tue ou capture tous les hommes d’un groupe de Uhlans approchant du village où il avait pris position.
Ces multiples faits d’armes lui valent d’obtenir une mutation dans l’aviation en décembre 1914, à l’escadrille MS 26 près de Dunkerque où il sert en tant qu’observateur et où il côtoie le célèbre Roland Garros. Voulant très vite devenir lui-même pilote, il part à l’école de Pau fin avril 1915 où il rencontre pour la première fois un jeune élève nommé Georges Guynemer qui devient son ami. Son brevet obtenu, Heurtaux est affecté à l’escadrille MS 38 en Champagne en juin 1915 où il va servir 11 mois et où son caractère impétueux va de son propre aveu lui valoir de nombreuses inimitiés, tant auprès des autres pilotes que de sa hiérarchie. Durant ses permissions à Paris il dispose d’un appartement appartenant à sa famille avec une domestique, où il retrouve sa fiancée et croise quelquefois Georges Guynemer qui au mois de février 1916 devient une célébrité nationale en étant le premier pilote cité dans le communiqué aux armées pour les 5 avions qu’il a abattu en combat aérien. L’exemple de son ami Guynemer donne des idées à Heurtaux qui s’essaie lui aussi à la chasse et va revendiquer une victoire le 4 mai 1916, qui ne lui sera pas homologuée. On imagine la fureur de l’intéressé qui indispose à tel point son chef d’escadrille qu’il cherche dès lors à s’en débarrasser.
C’est alors qu’il est proposé par le commandant Barès, chef de l’aviation auprès du GQG, au capitaine Brocard qui dirige l’escadrille N 3, l’élite de la chasse française alors basée à Cachy dans la Somme. Heurtaux y est muté fin juin 1916 et va très vite s’y affirmer comme un chasseur d’exception, remportant six jours après son premier vol dans l’unité sa première victoire homologuée contre un chasseur ennemi le 9 juillet 1916. Le 17 août suivant tombe sa 5e victoire homologuée faisant de lui un as et lui donnant l’honneur de voir son nom cité au communiqué aux armées du 19 août. La célébrité nationale ne tarde pas à suivre et n’est pas sans côtés agréables pour le jeune pilote qui témoigne alors vivre « comme les chanteurs à la mode » avec des demandes d’autographes, un abondant courrier à son escadrille, des cadeaux et des sollicitations de jeunes femmes… En septembre 1916 il vole sur le puissant SPAD VII et le 25 de ce mois il abat à son bord l’as allemand Kurt Wintgens volant sur Fokker Eindecker, comptant alors parmi les meilleurs pilotes de la chasse allemande.
Le 9 novembre 1916, le capitaine Brocard est muté à de plus hautes fonctions et le commandement de la SPA 3 revient à Heurtaux, promu lieutenant, qui commande les plus grands as de la chasse française tels que Georges Guynemer et René Dorme, et face auxquels il n’a aucun mal à s’affirmer en raison de son autorité naturelle mais aussi de son propre tableau de chasse composé de 19 victoires homologuées au mois de janvier 1917. Sa tactique de combat est simple : s’approcher de l’ennemi et le tirer à bout portant, ce qu’il fait généralement en quelques balles.
Après un passage de quelques semaines en Lorraine où Heurtaux a reçu ses galons de capitaine, la SPA 3 s’installe le 26 mars 1917 à l’ouest de Reims en préparation de l’offensive du Chemin des Dames qui est lancée le 16 avril. L’as y mène de nombreux combats mais se retrouve surpris le 5 mai par un groupe de 5 chasseurs ennemis dont il s’échappe en ayant pris deux balles dans le bras et la jambe. Évacué et soigné, il revient à son unité le 27 juillet 1917 qui entretemps s’est installée à Bergues pour participer à la bataille des Flandres. Les combats y seront particulièrement violents et les pertes lourdes, dont le célèbre Georges Guynemer qui disparaît le 11 septembre. Heurtaux apprend la nouvelle de son lit d’hôpital car il a été lui-même grièvement blessé le 3 septembre par le tir défensif d’un biplace qu’il attaquait sur son SPAD XIII.
Ses blessures sont très sérieuses et l’éloignent définitivement des combats. Marchant à l’aide de béquilles, il va être envoyé par le gouvernement en 1918 effectuer une tournée d’inspection aux États-Unis, au cours de laquelle il visite les usines aéronautiques locales et effectue des conférences auprès des élèves-pilotes américains. Selon ses dires, c’est aussi au cours de ce séjour en Amérique qu’il va y rencontrer le député André Tardieu qui va le prendre sous son aile et nourrir pour lui des ambitions politiques.
En effet, après un bref séjour en 1919 comme attaché au cabinet du sous-secrétaire d’Etat à l’aéronautique, Tardieu, qui tire les ficelles de la constitution des listes de droite qui se présentent pour les premières élections d’après-guerre, place Heurtaux sur l’une d’elles en tant que héros de guerre décoré. Il témoigne : « Il manquait un républicain de gauche dans une liste. On m’a collé l’étiquette de républicain de gauche. Je n’ai jamais trop su ce qu’était un républicain de gauche ! » Élu sous cette étiquette dans la circonscription de Seine-et-Oise, il débute son mandat le 16 novembre 1919 et se retrouve avec l’as René Fonck un des plus jeunes députés de France. Cependant, et contrairement à ce dernier, les jeux parlementaires vont vite le rebuter au point qu’on ne lui trouve aucune prise de parole en séance dans le journal officiel… A peine est-il signalé par la presse comme assistant à divers évènements concernant l’aviation, dont notamment à l’inauguration d’une plaque commémorative en l’honneur de Guynemer. La seule chose notable durant son mandat de député est sa vie privée : il fonde avec sa fiancée une famille nombreuse, qui comptera dix enfants, dont les premiers naissent au début des années 1920.
Au mois de mai 1924, son mandat de député prend fin et, contrairement à Fonck qui se passionne de politique, Heurtaux ne fait aucune démarche pour le renouveler et solliciter un nouveau mandat auprès des électeurs. Il pense se trouver rapidement une situation dans le privé, mais la réalité est toute autre car sa célébrité est en fait un handicap pour ses employeurs. Il décide alors d’émigrer en Amérique où il pense se trouver une situation de pilote au Canada, mais qui ne se concrétise pas. Il se fait alors embaucher comme simple ouvrier chez Ford et travaille à la chaîne, une expérience qu’il juge très intéressante. C’est là que le trouve l’as des as René Fonck, son ancien collègue député, venu effectuer une visite officielle. Il ne manque pas de signaler le cas de son ancien camarade à la direction de l’usine, où Heurtaux va rapidement gravir tous les échelons pour finalement se retrouver nommé directeur de la succursale de General Motors en France en 1927 où il retourne s’installer avec sa famille.
Cependant il est licencié de son poste lors de la crise de 1929, mais retrouve un emploi de direction à la société Renault au début des années 1930 dont il devient le directeur du personnel. Durant les années 1930 il va s’intéresser quelque peu à la politique, sous plusieurs formes. Reprenant contact avec l’armée, il reprend son entraînement de pilote et va militer contre le programme dit BCR adopté par l’assemblée nationale et qui selon lui est un gaspillage de moyens, plaidant pour un réarmement rapide face à l’Allemagne nazie. Il devient en outre un sympathisant du mouvement des Croix de Feu du Lt-Colonel de La Rocque, qui est mouvement républicain de droite bonapartiste, luttant à la fois contre les idées du fascisme et du communisme.
Quand éclate la seconde guerre mondiale, la position d’Alfred Heurtaux le désigne naturellement pour une affectation spéciale dans la société Renault. Il fait au contraire des démarches pour être mobilisé et affecté dans une unité combattante, reprenant l’entraînement au pilotage sur Morane 406. Un moment pressenti pour prendre le commandement d’un groupe de chasse, il est finalement affecté à un poste d’inspecteur général de la chasse avec ses galons de colonel. La débâcle le contraint à faire route vers le sud et il se retrouve à Toulouse à l’armistice.
Démobilisé, il est de ceux qui n’acceptent pas la défaite et il va fonder le premier réseau de résistance organisé, baptisé ultérieurement « Réseau Hector ». Heurtaux va d’abord obtenir un financement du gouvernement de Vichy dont il devient un notable au-dessus de tout soupçon. En tant qu’ancien héros de 14-18 il est reçu par le maréchal Pétain qui lui accorde des fonds pour créer une œuvre sociale pour les anciens combattants de zone occupée. Cette œuvre sociale est en fait un réseau composé en majorité d’anciens militaires chargés de collecter des renseignements militaires sur les forces allemandes d’occupation, lesquelles sont envoyées au gouvernement britannique par voie diplomatique depuis Vichy.
Le réseau est vite dépassé par son succès et commence à être infiltré par les services allemands. Heurtaux est arrêté, puis relâché en mars 1941. Durant l’été 1941, alors que le réseau a multiplié les caches d’armes, les Allemands craignent des attentats et organisent un vaste coup de filet. Les survivants du réseau Hector intègreront tous l’Organisation Civile et Militaire (OCM), une des huit plus grandes organisations de résistance représentées au CNR. Heurtaux sera pour sa part arrêté le 3 novembre 1941, puis déporté en Allemagne le 12 novembre 1941 avec un de ses fils et quelques 229 autres résistants. Il connaîtra plusieurs prisons et devra peut-être la vie au fait d’être un ancien as de 14-18 ce qui lui aurait valu la protection d’Hermann Goering. Il est cependant déporté à Buchenwald le 13 mars 1945 où il est heureusement libéré un mois plus tard par les troupes alliées.
Il retourne en France à demi-paralysé des jambes. Malgré son état de santé, il est rappelé à l’activité à sa demande et affecté en tant qu’adjoint du général de Sevin à la mission militaire pour les affaires allemandes le 5 juillet 1945, étant promu au grade de général de brigade au mois de décembre de cette année où le gouvernement provisoire de la république française le fait compagnon de la libération par un décret du 12 juin 1945 signé du général De Gaulle. Retournant à la vie civile le 28 février 1946, Alfred Heurtaux exerce ensuite la profession d’ingénieur conseil jusqu’à sa retraite et s’éteint le 30 décembre 1985 à Cires-lès-Mello dans l’Oise.
Sources
- Témoignage oral laissé au Service Historique de l’Armée de l’Air
- Dépositions Heurtaux laissées au Archives nationales pour les procès Pétain, Bergeret, Viaud.