- Sous-lieutenant Jean Navarre
- Breveté pilote militaire le 30 septembre 1914 (brevet n°601)
- Cité dans le communiqué aux armées du 27 février 1916
- Escadrilles N 67, MS 12, N 48, MF 8
- Né le 9/08/1895 à Jouy-sur-Morin (Seine et Marne)
- Mort le 10/07/1919 à Versailles (Yvelines) (Suite à un accident aérien (23 ans))
Décorations
- Chevalier de la Légion d’Honneur
- Médaille Militaire
-
Croix de Guerre
9 palme(s)
1 étoile vermeil
Profils
Jean Navarre
Un enfant terrible
12 victoires sûres, 9 victoires probables
Palmarès détaillé »
Né en 1895 avec son frère jumeau Pierre, Jean Navarre est issu d’une famille de la grande bourgeoisie car son père est un ingénieur centralien ayant fait fortune dans la papeterie, commercialisant les papiers Héraclès. Mais Monsieur André Navarre va avoir bien du souci pour élever ses deux fils ainés qui se révèlent très turbulents et passent leur temps à se faire renvoyer de tous leurs établissements scolaires. Jean est pourtant un enfant intelligent et, grâce à un précepteur particulier qu’engage son père, parvient à obtenir la première partie de son baccalauréat à l’âge de 15 ans. Alors qu’approche l’âge adulte, Monsieur André Navarre ne sait pas quoi faire de son fils qui refuse de préparer l’école centrale et ne trouve pas plus d’intérêt de travailler dans la papeterie familiale… Cependant il se passionne pour l’aviation naissante et réalise des maquettes avec son frère. Cette passion lui permet de trouver assez d’intérêt pour suivre – brièvement – des cours de mécanique pour apprendre le fonctionnement des moteurs. Pensant que son fils a trouvé sa voie, Monsieur André Navarre lui paie des études préparatoires à l’école supérieure d’aéronautique… Peine perdue, car Jean abandonne sa scolarité dès qu’il a estimé avoir assimilé ce qui l’intéressait. Il se met à suivre les cours du collège d’athlètes de Reims, puis arrache à son père son inscription à l’école de pilotage du Crotoy, quand la guerre le surprend alors qu’il a à peine commencé ses leçons.
Le jeune homme de 19 ans, qui n’est pas encore appelé, se précipite alors à Versailles pour s’engager dans l’aviation, mais il essuie un refus car le général Bernard, directeur de l’aéronautique militaire, a bloqué tout recrutement pensant que la guerre sera courte. Ce n’est que grâce au piston du sénateur des Landes, ami de la famille, qu’il peut intégrer l’école de pilotage de Tours dès que l’armée la rouvre. Il obtient son brevet de pilote le 30 septembre 1914 et se retrouve peu après affecté à l’escadrille MF 8 dans la Somme.
Mais le caporal Jean Navarre, rebelle à toute autorité, se montre aussi habile pilote que soldat indiscipliné. En l’air, il montre déjà son envie d’en découdre : seul à bord de son Farman, il rencontre un avion ennemi qui vient poliment le saluer : « L’ennemi vient vers moi, vire, se met parallèlement à moi et me fait bonjour de la main. Lui aussi est seul. En guise de salut, je réponds en tirant mes trois cartouches. (…) L’autre pique en vitesse, sans essayer de savoir la suite. (…) Je rentre, très fier et très heureux de moi. » Au sol… C’est la même chose, puisqu’il fait le mur de l’escadrille pour aller faire la fête au village voisin où il a la malchance de croiser son chef d’escadrille, le capitaine Fassin. Ce dernier le renvoie de l’unité et il se retrouve de nouveau aux réserves de St Cyr (Versailles) au début de l’année 1915.
C’est là qu’il se porte volontaire pour être instruit au pilotage du Morane Parasol, l’avion le plus rapide du moment mais qui traine une réputation de cercueil volant, ayant tué plusieurs pilotes dans une vrille mortelle. Navarre n’est pas effrayé par l’appareil et comprend comment faire sortir celui-ci de vrille, au prix d’acrobaties terminées au ras des pâquerettes à la grande frayeur de ses instructeurs qu’il n’écoute pas beaucoup. Le célèbre Roland Garros l’aperçoit et aurait alors déclaré : « S’il ne se tue pas, il deviendra extraordinaire. »
Repéré par le commandant Tricornot de Rose qui crée la première escadrille de chasse de l’aviation française, il prend avec lui le fougueux pilote qui se retrouve ainsi à l’escadrille MS 12 à Muizon près de Reims le 27 février 1915. Les Il va très vite faire parler de lui : le 1er avril 1915, il permet au passager de son Morane armé d’une carabine de descendre un avion allemand qu’il lui sert sur un plateau, se rapprochant à quelques mètres de la cible qui, endommagée, se pose dans les lignes françaises où son équipage est capturé. Les journaux français commencent alors à parler timidement du caporal Navarre qui reçoit la médaille militaire pour son exploit, à une époque où les victoires aériennes se comptent sur les doigts de la main.
Il remportera un nouveau succès le 12 avril, puis démolit involontairement son Morane en décidant, contrairement à l’avis de l’officier qu’il amène en passager, à chasser une outarde pour améliorer l’ordinaire de l’escadrille, en cherchant à la percuter… Son avion percute en fait un arbre et se retrouve en miettes. Pour se racheter auprès du commandant de Rose, il se porte alors volontaire pour une dangereuse mission spéciale en allant déposer un espion derrière les lignes ennemies. Au mois de mai, il est détaché avec son camarade Pelletier Doisy à l’escadrille MS 15 en Artois, suivant le commandant de Rose qui exerce de nouvelles responsabilités dans l’aviation du secteur. Navarre est temporairement sous les ordres d’un nouveau chef d’escadrille, le capitaine René Turin, qui ne va pas apprécier la conception toute personnelle de son nouveau pilote pour la discipline militaire. Ce dernier va récolter un total de 53 jours d’arrêts de rigueur pour divers motifs jusqu’au jour où il apprend son retour à la MS 12. Il ne manquera pas de partir sans saluer le capitaine Turin – à sa façon, en lui fonçant dessus avec son appareil volant en rase mottes, contraignant l’officier à plonger dans la boue !
Le chef de l’escadrille de la MS 12, le capitaine de Bernis, ne donne pas suite aux demandes de punitions de son collègue car Navarre se rachète en réalisant une nouvelle mission spéciale de dépose d’espion derrière les lignes ennemies, où il est promu adjudant et décoré de la légion d’honneur. Volant désormais sur Morane monocoque disposant d’une mitrailleuse tirant à travers l’hélice équipée de pales déflectrices, il remporte une troisième victoire à son bord en capturant un LVG le 26 octobre 1915, puis est envoyé sur le front de Lorraine durant l’hiver.
La légende de Jean Navarre va en fait commencer le 21 février 1916 avec le début de la bataille de Verdun, bataille d’attrition provoquée par l’armée allemande sur ce saillant du front pour y saigner à blanc l’armée française au moyen de puissantes concentrations d’artillerie. Le général Pétain, chargé de la défense de la ville, décide d’y concentrer toute l’aviation de chasse française pour acquérir la supériorité aérienne, permettre le réglage des tirs de l’artillerie française et empêcher l’aviation allemande de faire de même. Navarre est alors muté à l’escadrille N 67 le 24 février et dès son arrivée se distingue en abattant deux avions allemands à bord de son chasseur Nieuport 11.
C’est le premier « doublé » réalisé par un chasseur et son exploit fait la une des journaux nationaux car il est cité au communiqué aux armées pour sa 5e victoire (le 2e pilote à l’atteindre après Guynemer), sa photo étant publiée dans les grands quotidiens. Devenu réellement médiatique, Navarre va désormais avoir un chef d’escadrille extrêmement compréhensif, le capitaine Jules de Saint Sauveur, qui va tout faire pour le confort personnel de son pilote en accédant au moindre de ses désirs et faciliter sa vie de pilote de chasse. Car Navarre se bat : en l’air matin et soir, il patrouille seul aussi haut que son Nieuport peut le mener et fond tel un épervier sur les avions allemands passant sous son aile. Les victoires tombent : deux avions allemands abattus et homologués au mois de mars, deux autres en avril, sans parler des succès non homologués. Un rythme physique éprouvant que sa carrure d’athlète permet de supporter. L’as va décompresser en s’offrant des permissions à Paris où le gouverneur militaire entend vite parler de lui par ses débordements…
Au mois de mai, prenant pour habitude de voler avec le champion automobile Georges Boillot, il met au point avec ce dernier une tactique pour attaquer les avions de bombardement allemands qui volent en groupe : leur fondre dessus et immédiatement descendre le trainard avec les 45 cartouches que comporte le tambour d’alimentation de leur mitrailleuse Lewis, qu’il est impossible de changer en combat. Mais une fois la victoire obtenue, les autres avions allemands cherchent à se venger et se liguent pour descendre l’agresseur. Navarre et Boillot, à court de munitions, entament alors un ballet d’acrobaties aériennes « à faire pâlir Nijinski », jusqu’à ce que les assaillants, écœurés, abandonnent la partie.
Deux autres victoires tombent au mois de mai, le faisant dépasser le score de 10, qu’il est le premier pilote à atteindre. On sert à Navarre ce qu’il y a de meilleur : il est équipé d’une mitrailleuse Lewis synchronisée au moyen d’un dispositif expérimental Alkan, et vole désormais sur un Nieuport 16 plus puissant dont il fait peindre le fuselage en rouge et que le peintre aux armées Henri Farré, présent à Verdun, immortalisera d’une de ses toiles. La presse nationale commente ses victoires et les aviateurs allemands, via les pays neutres, ont forcément connaissance de son nom… voire de son avion rouge, qui cause sa perte le 17 juin 1916. Au cours d’une patrouille de chasse avec son ami Pelletier Doisy, il abat avec ce dernier un biplace allemand au-dessus de Samogneux, sa 12e victoire homologuée. Puis, poursuivant son vol en étant rejoint par un troisième équipier, l’adjudant Guignand, il repère un autre biplace allemand en remontant l’Argonne. Navarre pique le premier pour tirer, puis vire pour laisser à ses équipiers le soin de finir le travail. Pelletier Doisy suit… Mais pas Guignand que Navarre recherche. Le mitrailleur arrière du biplace allemand, pris dans cette noria de chasseurs, fait vite son choix : « La couleur rouge de mon fuselage – signe distinctif que j’avais adopté pour me faire connaître dans l’air – m’attire la colère du boche qui concentre ses efforts uniquement sur moi. Au moment où je fais un nouveau retournement, décidé à attaquer sans attendre Guignand, je sens un choc terrible au bras et à la poitrine. » Grièvement blessé, Navarre a la force de se poser dans un terrain ami où il est conduit dans un hôpital.
Ce sera pour lui la fin des combats : durant sa convalescence à Paris, le bouillant pilote multiplie les incartades en faisant le mur de l’hôpital. Ivre mort, il agresse une dame le 20 juillet 1916, puis frappe des agents de police le 20 août dans une salle de concert, et crache sur un médecin-major à l’Olympia quatre jours plus tard, selon la légende après s’être dévêtu et lui avoir montré son postérieur pour qu’il constate ses blessures ! La descente aux enfers atteint son point de non-retour le 15 novembre 1916 quand il apprend la mort de son frère jumeau tué dans un accident d’avion. Dépressif et plongeant de plus belle dans l’alcool, ses incartades continuent et le capitaine de Saint-Sauveur le reprend en escadrille pour lui éviter d’autres ennuis. Mais son pilote commet l’irréparable dans la nuit du 10 au 11 avril 1917, lors d’une permission à Paris, en fonçant sur plusieurs agents de police avec son automobile, en blessant un avant de s’enfuir dans la nuit. Arrêté par la gendarmerie à son escadrille, il est incarcéré et jugé mais les médecins militaires le déclarent irresponsable de ses actes, reconnaissant ce que les psychiatres modernes qualifieraient de syndrome de stress post-traumatique. En soins durant tout le restant de la guerre, Navarre ne retournera jamais au front. Devenu pilote d’essais après la guerre, il se tuera le 10 juillet 1919 en s’écrasant sur son Morane AI lors d’un simple vol d’entrainement, projetant de passer sous l’arc de triomphe pour le défilé du 14 juillet.
Sources
Conférence de David Méchin sur Jean Navarre :
https://www.youtube.com/watch?v=pNmni-_4spY
Sources :
- La guerre aérienne illustrée de Jacques Mortane, n°146 à 153.
- Dossier individuel SHDT
- Dossier individuel SHDA
- Archives départementales des Landes
- Journal de marche de l’escadrille N12
- Journal de marche du camp retranché de Verdun
- Article "Jean Navarre, la sentinelle de Verdun" de David Méchin, paru dans Aéro-Journal n°18 d’octobre 2010.