- Lieutenant Jean Fraissinet
Nationalité française
- Breveté pilote militaire le 4 novembre 1916 (brevet n°4855)
- Cité dans le communiqué aux armées du 0000
- Escadrilles SPA 57
- Né le 22/06/1894 à Marseille
- Mort le 23/05/1981 à Cogolin (Var) (Mort naturelle)
Décorations
- Chevalier de la Légion d’Honneur
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Croix de Guerre
6 palme(s)
1 étoile vermeil
Profils
Jean Fraissinet
8 victoires sûres, 3 victoires probables
Palmarès détaillé »
Jean, Alfred, Louis, Henry Fraissinet naît le 22 juin 1894 à Marseille dans un milieu extrêmement privilégié. La famille Fraissinet est une famille protestante issue des Cévennes, qui a émigré en Hollande à la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV, puis est revenue en France pour fonder une compagnie de navigation établie à Marseille dont son père est l’héritier et le gérant.
Le jeune Jean grandit avec ses deux frères entouré de domestiques dans la villa familiale située en banlieue de Marseille, et bénéficie d’une éducation particulièrement soignée en étant éduqué par un précepteur allemand avant de fréquenter un collège près de Rouen où il est pensionnaire, et où il obtient son baccalauréat en 1910. Il fait ensuite des études à Paris en suivant des cours de droit (obtenant la licence) et à l’école libre de sciences politiques, devenue de nos jours « Sciences-Po Paris ».
Quand survient la guerre il est âgé de 20 ans et à ce titre n’a pas encore effectué son service militaire. Plutôt que d’attendre son incorporation, il décide par patriotisme de s’engager dans l’armée le 3 septembre 1914 à la Mairie de Marseille au 6e régiment de hussards, encaserné dans cette ville. Après de courtes classes, il va rejoindre le front dans le secteur de Verdun suite à la bataille de la Marne, puis va participer à la course à la mer. Lors de cette campagne, le hussard Jean Fraissinet, promu au grade de brigadier le 6 novembre, est détaché à la mission militaire française attachée à l’armée britannique en raison de sa parfaite connaissance de la langue anglaise.
Il va rejoindre le 1er escadron du régiment le 23 février 1915 qui se trouve alors dans le secteur de Verdun où il reste jusqu’au 1er juin ; l’unité passe ensuite dans la région de Ste Ménéhould jusqu’au 14 août date à laquelle elle est retiré du front pour participer à des manœuvres en arrière des lignes, en préparation de l’attaque de Champagne à laquelle elle va indirectement participer en tenant les lignes à l’ouest de la zone d’attaque. C’est au cours de cette bataille que le 27 septembre 1915 Jean Fraissinet est promu au grade de maréchal des logis. Le 6e hussards va finir l’année à tenir la ligne au sud de Craonne, dans un secteur où les combats sont à l’époque plutôt calmes, puis en Champagne au début de l’année 1916.
Jean Fraissinet y constate l’inutilité de la cavalerie dans cette guerre de tranchées et se porte volontaire pour être muté dans l’aviation. Parallèlement, il tente le concours des officiers d’active qu’il obtient, ce qui l’envoie au mois d’avril 1916 au cours des élèves officiers à l’école de cavalerie de Saumur dont il ressort avec le grade d’aspirant le 1er août pour partir deux semaines plus tard à l’école d’aviation de Dijon. Il en ressort breveté et affecté le 13 mars 1917 à l’escadrille SPA 57 qui stationne à Vadelaincourt dans la région de Verdun, amalgamée avec les SPA 12, 31 et 48 pour former le GC 11.
Ce groupe de combat est rapidement envoyé le 8 avril 1917 à Lhéry pour participer à la bataille du Chemin des Dames où l’aspirant Jean Fraissinet va mener ses premiers combats. Au mois de juillet 1917 l’unité par pour les Flandres où les combats contre la chasse allemande y seront particulièrement violents. Jean Fraissinet, promu au grade de sous-lieutenant, va être descendu en combat aérien mais va pouvoir poser son SPAD dans les lignes alliées, rentrant à pied à son escadrille au terme d’un parcours picaresque, se souvenant non sans émotion d’avoir rencontré en route une dame exerçant une profession libérale qui lui permit – gratuitement – de se reposer à ses côtés sur son « lit de travail » ...
Le GC 11 quitte les Flandres pour l’Aisne le 16 septembre 1917, secteur où Fraissinet va remporter sa première victoire aérienne homologuée contre un Albatros C le 24 de ce mois en compagnie de deux équipiers. L’hiver qui vient limite les vols et le GC 11 tout entier est amalgamé au début de l’année 1918 à la Division Aérienne du général Duval, l’armada chargée d’assurer la supériorité aérienne sur tout point du front souhaité par l’Etat-Major. Les offensives allemandes du printemps 1918 vont lui donner l’occasion d’en découdre avec l’aviation ennemie : le 31 mars 1918, la SPA 57 est installée sur le terrain de Beauvais-Tillé et Fraissinet, maintenant très expérimenté, y abat deux biplaces le 12 avril et 2 mai 1918. Il remportera 3 nouvelles victoires lors des dernières offensives allemandes, dont sa 6e le 15 juillet 1918 au début de l’ultime attaque dite « Friedensturm » autour de la ville de Reims. Il s’agit d’un biplace qui s’écrase dans les lignes allemandes. Un des passagers sort de l’épave et Fraissinet n’hésite pas à abattre au sol.
Le vent de la guerre tourne désormais en faveur des alliés qui lancent plusieurs offensives, qui seront l’occasion de remporter ses deux dernières victoires (ses 7e et 8e) le 1er octobre 1918 contre deux Halberstadt CL descendus près de Somme-Py. Promu au grade de lieutenant le 11 octobre 1918, il reçoit la charge de commander une nouvelle escadrille en formation, la SPA 172 qui devient opérationnelle le 1er novembre 1918. Cette nouvelle escadrille s’envole pour le terrain de Toul-Ochey le 7 novembre 1918, où il apprend le 9 qu’il est fait chevalier de la légion d’honneur. Le 12 novembre 1918, ses SPAD partent se poser sur le terrain de Pont-Saint-Vincent près de Nancy, où Fraissinet en atterrissant entend sonner les cloches annonçant l’armistice.
L’escadrille est alors dissoute au mois de mars 1919 et Jean Fraissinet, du fait de sa connaissance du métier d’armateur, est muté au service du ravitaillement à Londres. Ne souhaitant pas faire carrière dans l’armée d’active, et répondant à l’injonction de son père qui le souhaite à ses côtés dans la société, il démissionne de l’armée d’active et se retrouve démobilisé le 7 octobre 1919. Il va retrouver l’entreprise familiale qui va être endeuillée par la mort de son frère Alfred, tué accidentellement en manipulant une arme à feu en mars 1921. Jean Fraissinet, dont les occupations lui feront complètement abandonner l’aviation militaire au point de n’effectuer aucune période de réserve, va le 4 janvier 1922 se marier à la Mairie de Marseille avec Mlle Fabre dont il aura trois enfants. Son épouse est la fille de l’armateur concurrent Paul Cyprien-Fabre ; le mariage va favoriser le rapprochement des deux sociétés… Jean Fraissinet va se retrouver propulsé à la tête de sa société par la mort prématurée de son second frère Albert en 1924 et celle de son père en 1927. Il est en 1930 à la tête d’un véritable empire industriel avec la fusion de facto des entreprises Fraissinet armateurs, Cyprien Fabre et Chargeurs Réunis, qui ouvrent des bureaux communs. Parallèlement à la direction de la société familiale, Jean Fraissinet va exercer de nombreuses autres fonctions d’administrateur dans diverses sociétés de transports durant l’entre-deux-guerres, dont la Transatlantique, Air France et l’Aérospatiale. Il assume aussi la présidence des chantiers de Port de Bouc, entre 1927 et 1945 ; il est également administrateur des forges, des chantiers de la Méditerranée et des chantiers de Bretagne. Fort de cette expérience, il administre la société marseillaise de trafic maritime et préside le conseil de surveillance de la société Chambon, dans la cité phocéenne. Enfin, il est administrateur des raffineries de sucre de Saint-Louis à Marseille, de la compagnie Delmas-Vieljeux et de la compagnie franco-chérifienne de navigation.
Bénéficiant d’une confortable fortune, il va décider de devenir également patron de presse dans le souhait de tenir un journal développant ses idées conservatrices, nationalistes et très anti-communistes. Mais dans la ville de Marseille des années 1930, la politique fraye automatiquement avec le gangstérisme et la corruption. L’homme fort de Marseille est à l’époque Simon Sabiani, 1er adjoint au Maire Siméon Flaissières et proche des parrains de la pègre Paul Carbone et François Spirito. Jean Fraissinet rachète en 1931 à Sabiani son journal « Marseille-Matin », qu’il va développer en créant une édition du soir, « Marseille-Soir », pour le diffuser à un plus large public. Il va y développer à longueur de colonnes ses idées très anticommunistes, mais également antiallemandes. Conséquence logique, il va être systématiquement brocardé par la gauche locale comme étant un « patron fasciste », et tout particulièrement durant l’avènement du front populaire en 1936 où une grève bloque le port de Marseille. Six dockers des navires de Fraissinet sont accusés par le Syndicat GCT des Dockers d’être des briseurs de grève, exigeant leur renvoi. L’armateur n’entend pas céder à ce chantage et le mouvement se durcit… Le 16 juin 1936, le Maire socialiste de Marseille Henri Tasso (élu en 1935) intervient en télégraphiant au ministre du travail du gouvernement de Léon Blum pour demander le déplacement des six dockers ailleurs qu’à la Joliette, pour apaiser les esprits. Fraissinet refuse toujours... Une menace d’une grève générale et les pressions du gouvernement font plier l’armateur, qui en garde une sérieuse rancune contre Tasso.
Il va tenter de se faire élire à l’assemblée nationale en se présentant à une élection législative partielle au mois d’août 1935 à Ajaccio, bénéficiant du soutien du « service d’ordre » des hommes de Simon Sabiani qui sont peut-être à l’origine des coups de feu contre la foule lors d’un meeting du candidat communiste. Leur action de terreur ne servira à rien, puisque le candidat du front populaire va remporter l’élection. Fraissinet va cependant prendre sa revanche sur le Maire socialiste Henri Tasso lors de l’affaire de l’incendie des Nouvelles Galeries. Ce centre commercial donnant sur le vieux Port prend feu le 28 octobre 1938 et les pompiers municipaux se distinguent par leur incurie pour éteindre l’incendie qui menace d’autres bâtiments de la ville. Le président du Conseil Edouard Daladier, présent sur les lieux car participant non loin de là à un congrès du parti Radical, assiste au fiasco des secours et comprend le marasme de l’administration municipale. Le journal « Marseille-Matin » prend immédiatement position contre Henri Tasso, demandant sa démission, l’accusant d’être directement responsable du désastre par l’incurie de sa politique ayant négligé les investissements dans le service public de l’incendie. Lequel se défend en reportant la faute sur l’état, qui il est vrai à cette époque a la main haute sur le budget des communes. La vérité est comme souvent probablement entre les deux ; quoiqu’il en soit Henri Tasso est révoqué par le gouvernement qui juge, non sans une certaine raison, que la cité phocéenne est minée par la corruption et va directement gérer celle-ci via un administrateur public.
Quand éclate la seconde guerre mondiale, Jean Fraissinet est de nouveau mobilisé avec son grade d’officier de réserve. N’ayant fait qu’une seule période d’instruction volontaire durant l’entre-deux-guerres, il n’est que capitaine et ne fait plus partie du personnel naviguant. Néanmoins, refusant pour un temps tout privilège, il se rend dans l’affectation que lui confie l’armée au service des transmissions à Marseille. Il s’y ennuie vite et fait jouer ses relations pour se faire affecter dans une unité combattante. Il a le bras assez long pour se faire affecter comme officier adjoint à l’état-major du GC II/3, reprenant son entrainement au pilotage et parvenant dans un temps record à être lâché sur Morane 406 à l’âge de 45 ans… L’unité est transformée sur Dewoitine 520 peu après l’attaque allemande du 10 mai 1940, que Fraissinet va être le seul as de 14-18 à piloter. Effectuant sans doute peu de missions de guerre en raison de son âge, il va quitter la France avec son groupe et traverser la Méditerranée sur son Dewoitine peu avant l’armistice.
Démobilisé en Algérie, il retourne à Marseille reprendre ses activités d’armateur et de patron de presse. Il met son journal au service du régime de Vichy en soutenant le Maréchal Pétain, qui le lui rend bien en le nommant membre du Conseil National, assemblée consultative du régime sensée remplacée l’assemblée nationale dans la future constitution qu’est sensé préparer le nouveau régime. Il s’agit d’un poste plus honorifique que politique, car cette assemblée ne sera jamais réunie. Néanmoins, en 1942, Jean Fraissinet perçoit la vassalisation croissante du régime sur l’Allemagne et s’en détache par une lettre ouverte qu’il écrit au Maréchal Pétain. Il va favoriser l’évasion à travers les Pyrénées de son fils Roland, qui, après un séjour dans les geôles franquistes, va rejoindre l’Angleterre et après un séjour au Canada va devenir un pilote de Spitfire dans les forces françaises combattantes en Angleterre en 1945, au GC IV/2 « Ile de France ». Le journal « Marseille-Matin » est sabordé par son propriétaire en 1942 et cesse de paraître. Cela n’évitera pas à Jean Fraissinet d’être mis en arrestation le 13 septembre 1944 et placé en résidence surveillée pendant une durée d’un an. Il en est libéré sans qu’aucune charge de faits de collaboration n’ait été retenue contre lui.
Dès sa libération, Jean Fraissinet va reprendre ses activités de patron de presse et combattre le socialiste Gaston Deferre dans ses publications, tout en gardant la main haute sur ses activités industrielles. Après une première tentative malheureuse dans une élection partielle, il va se faire élire député lors du premier scrutin législatif de la Ve république en en se présentant dans la 2e circonscription des Bouches-du-Rhône, s’étendant sur une partie de la ville de Marseille. Non affilié au parti gaulliste, il siège avec le parti de droite conservatrice dont est issu Antoine Pinay, largement financé par le patronat. Membre de la commission permanente des finances, il va constamment militer pour le développement de la marine de guerre (dont il est le rapporteur) et de la marine marchande dont il plaide pour le développement.
S’il soutient au début de son mandat le gouvernement de Michel Debré en votant favorablement pour le programme qu’il présente le 16 janvier 1959, il va s’en éloigner graduellement en raison de son opposition au général de Gaulle sur la politique algérienne. Il soutient en effet le combat de l’OAS dans ses éditoriaux, ce qui lui vaudra une inculpation. S’abstenant lors du vote du 27 avril 1962 lors de la présentation du programme de Georges Pompidou, il vote la motion de censure contre ce gouvernement le 4 octobre 1962, le seul de la Ve république qui ait été renversé suite à l’engagement de l’article 49-3 de la constitution. La réaction du général de Gaulle ne se fait pas attendre : l’assemblée nationale est dissoute et de nouvelles élections législatives sont convoquées, auxquelles Jean Fraissinet se présente mais va être battu.
Abandonnant la carrière politique, Jean Fraissinet, qui s’est remarié en 1962 suite au décès de son épouse, va se concentrer sur ses affaires et publier ses mémoires. Il s’éteint à à Cogolin à l’âge de 86 ans le 21 mai 1981, quelques jours après l’élection de François Mitterrand et la nomination de son rival Gaston Deferre au ministère de l’intérieur.
Sources
- Dossier individuel SHD n°1P 21292/2
- Témoignage oral SHD
- Mémoires "A travers deux guerres et quelques révolutions", 1968